Ce léger malaise qui ne passe pas

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Dans le métro, une femme ressent pour la première fois une inquiétude sourde. Rien d’anormal, pourtant tout semble décalé. Son corps parle avant sa tête : essoufflement, tension, étrangeté. Elle ignore encore que ce trouble reviendra, signe discret qu’elle vit à côté d’elle-même.

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Ce matin-là dans le métro

Elle ne saurait pas dire pourquoi. Rien, en apparence, n’a changé. Même rame, même heure, même trajet. Les visages, les sons, les odeurs. Tout est pareil. Et pourtant, non. Il y a quelque chose de différent. Infime, presque imperceptible, mais là, bien présent. Comme un frémissement dans l’air, un léger désaccord dans la partition habituelle du matin.

Elle se tient debout, accrochée à la barre métallique. La rame vibre sous ses pieds. Autour d’elle, les gens défilent, absorbés dans leurs écrans, leurs pensées, leurs cafés à emporter. Elle aussi devrait être ailleurs, plongée dans ses mails ou ses tâches du jour. Mais non. Quelque chose la retient ici. Dans ce moment suspendu, cet entre-deux sans raison.

Une inquiétude sans nom

Au début, c’est juste un picotement. Une gêne minuscule, dans le ventre. Comme un nœud qu’on n’aurait pas pris le temps de défaire. Puis, peu à peu, le corps s’en mêle. Sa respiration devient moins fluide. Pas bloquée, non, juste un peu courte. Sa poitrine se soulève plus vite qu’à l’accoutumée. Elle regarde autour d’elle. Personne ne semble remarquer quoi que ce soit. Et pourtant, tout paraît étrangement ralenti.

Une sensation de flottement. De décalage. Elle se sent dedans et dehors à la fois. Comme si elle observait la scène de l’extérieur, témoin d’elle-même dans ce wagon bondé. Une vague d’inquiétude traverse sa peau. Elle ne sait pas d’où elle vient. Ni pourquoi. Il n’y a aucune raison logique, aucune menace apparente. Juste ce trouble diffus, cette impression que quelque chose ne va pas.

Le corps sait avant l’esprit

Ses mains deviennent moites. Son cœur bat un peu plus fort. Ce n’est pas une crise, juste une tension. Une vigilance étrange, sans cause identifiable. Elle se redresse, tente de respirer plus profondément. Elle ne comprend pas ce qui se passe. D’habitude, elle est solide. Pragmatique. Rien ne la déstabilise. Mais ce matin, elle ne contrôle rien.

Le corps, lui, parle un autre langage. Il sait avant elle. Il sent que quelque chose s’amorce, une fissure légère dans le béton bien lisse de ses habitudes. Pas une cassure, non. Une simple ligne, fine, presque invisible. Mais une ligne quand même.

L’étrangeté du familier

Le métro s’arrête à République. Les portes s’ouvrent dans un souffle. D’ordinaire, elle connaît ce ballet par cœur. Les gens qui montent, d’autres qui descendent, les sons mécaniques, les bips, les pas pressés. Mais là, tout semble déformé. Comme si le monde avait pris une seconde de retard. Les couleurs sont ternes, les voix plus sourdes. Même la lumière paraît différente.

Elle se surprend à se demander : “Qu’est-ce que je fous là ?”
Une question idiote. Elle va bosser, comme tous les matins. Pourtant, la phrase s’impose. Insistante. Pas existentielle, pas encore. Mais étrange.
Elle regarde son reflet dans la vitre. Son visage lui paraît flou. Fatigué, peut-être. Ou simplement absent. Elle détourne le regard.

La tentative de rationaliser

Elle se dit que c’est la fatigue. Une nuit courte, un dîner trop riche, un café en trop. Ça doit être ça. Son corps réagit, voilà tout. Rien de grave. Elle se parle à elle-même pour se rassurer. Elle se répète qu’elle n’est pas folle, que ça va passer. C’est passager. C’est rien.

Mais le malaise reste. Léger, mais tenace. Une présence muette sous la peau. Elle voudrait le chasser, le nommer, le comprendre. Mais il glisse entre ses doigts. Plus elle y pense, plus il s’étend. Comme une brume. Invisible mais dense.

La rame repart

Elle ferme les yeux un instant. Le roulis du métro la berce. Le bruit des rails se mêle au souffle des passagers. C’est presque hypnotique. Elle sent la sueur froide sur sa nuque. Elle tente de se concentrer sur un détail : la chaleur du métal sous ses doigts, le rythme régulier des secousses, la musique étouffée dans ses écouteurs.
Elle se dit que ça va aller. Il faut juste tenir. Deux stations encore. Trois, peut-être. Après, ce sera le bureau, le bruit, les mails, la machine à café. Tout redeviendra normal.

L’apparente normalité

Quand elle descend à Saint-Lazare, tout semble revenu à la normale. Presque. L’air est un peu plus lourd, mais elle marche droit. Elle retrouve ses gestes, son pas régulier, son visage neutre. La ville la rattrape, le flux la reprend. Elle s’y glisse avec la discrétion d’une ombre. Pourtant, quelque chose en elle reste décalé. Comme une image légèrement hors cadre.

Dans l’ascenseur, elle croise ses collègues. Sourires, banalités, “ça va ?” – “oui, et toi ?”. La mécanique sociale fonctionne. Elle sait la jouer. Mais son ventre, lui, n’y croit pas. Il reste tendu. Elle sent la pulsation sous sa peau. L’inquiétude n’est pas partie. Elle s’est juste cachée, là, quelque part, en dessous.

Une fissure dans le quotidien

À son bureau, elle ouvre son ordinateur. L’écran s’allume. Elle reste un instant immobile. Tout est en ordre : la to-do, les rendez-vous, les mails urgents. Rien d’anormal. Et pourtant, tout lui semble dérisoire. Vide, presque absurde. Comme si le sens s’était évaporé dans le bruit de la rame.

Elle prend une gorgée de café. Le goût est amer. Trop fort. Elle fronce les sourcils. Son regard se perd un instant dans le vide. Ce n’est pas grand-chose, mais elle sait que quelque chose a bougé. En elle. Dans sa perception. Dans sa façon de respirer le monde.

Ce qu’elle ignore encore

Ce n’est pas un épisode isolé. Pas une fatigue. Pas un simple matin étrange. C’est la première alerte. Discrète. Sourde. Le corps qui parle avant que l’esprit ne sache. Ce n’est pas une menace, c’est un signal. Quelque chose veut émerger. Une vérité, peut-être. Une lassitude profonde. Un désalignement enfoui.

Elle ne le sait pas encore, mais ce moment reviendra. Demain, ou la semaine prochaine. Peut-être plus fort. Peut-être autrement. Ce sentiment d’être étrangère à sa propre vie, de flotter dans un décor qu’elle connaît trop bien. Ce n’est pas une crise. C’est un appel.

Watson le dirait plus tard, quand elle osera en parler :
— C’est ton corps qui t’envoie un message. Il te dit que tu vis à côté de toi.

Mais pour l’instant, elle n’en est pas là.
Elle ajuste sa veste, sa posture, et s’oblige à sourire.
La journée commence.
Et sous la surface tranquille de ce matin-là, quelque chose a commencé à trembler.

Les informations publiées par Watson ne se substituent en aucun cas à la relation entre le patient et son psychologue ou tout autre professionnel de la santé mentale. Watson ne fait l’apologie d’aucun traitement spécifique, produit commercial ou service. Cet article ne remplace en aucun cas un avis professionnel.