Alors, ça fait ça ?
Alors ça fait ça ?
Alors en réalité, on ne tombe pas de la falaise ?
On ne plonge pas dans l’abîme ?
C’est donc pas la longue chute pour finir par s’écraser sur le sol.
Alors, ça n’arrive pas ?
Pourtant, cette image-là, elle collait au corps, à l’esprit.
Parce que lâcher, quand t’as la trouille, c’est pas le truc naturel.
Pas le truc qui vient en premier.
Pas du tout.
Au contraire.
Ton réflexe, c’est de t’accrocher, coûte que coûte, et de ne rien lâcher.
Ne rien céder.
C’est comme si ta vie en dépendait.
Pour de vrai.
Comme si la mort rôdait par là, et que si jamais tu lâchais… voilà.
Tout serait terminé.
D’ailleurs, ton ventre te le disait :
un truc là, pesant, bien lourd, bien dense.
Brûlant et froid.
Tes jambes qui se dérobent, ton esprit embrumé, ta gorge serrée, nouée, sèche.
L’odeur de la fin, la toute fin, la dernière des dernières.
On ne tombe pas
Alors, ça fait ça ?
Donc, on ne tombe pas.
On reste debout.
On se sent plus léger.
La trouille reste là, oui, mais elle prend moins de place.
Elle est à sa place.
Et toi, tu te sens mieux.
Tu te sens plus vivant.
Tu respires mieux.
Y’a toujours un poids sur ton ventre, sur ton sternum, oui…
Et pourtant, tu respires mieux.
À pleins poumons.
Tu retrouves de l’envie.
De la joie.
Du plaisir.
C’est redevenu plus léger.
Plus agréable.
Avant, tu marchais sous la pluie, sans parapluie.
T’en prenais des litres.
Et maintenant, tu marches sous le soleil, qui réchauffe juste ce qu’il faut.
T’avais la tête basse.
Tu regardais tes pompes.
Et là, tu marches la tête haute, bien droite.
Tu regardes à nouveau autour de toi.
Plus tranquille.
Le monstre
Avant, tu voyais pas.
Juste ce truc monstrueux devant toi, la gueule ouverte, prêt à te bouffer, t’avaler, te digérer.
Tu ne sais pas à quoi il ressemblait.
Mais tu te souviens de l’odeur fétide, putride, de la fin qui léchait ta joue.
De cette peur primale qui te serrait partout.
Et maintenant, tu le regardes en face.
C’est quoi ?
Un petit monstre.
Il n’est pas beau, c’est vrai.
Il a une sale gueule, c’est évident.
Il pue, ça aussi, c’est évident.
Bordel, mais tu pues !
Beurk.
Et pourtant, tu le regardes.
Parce qu’il n’est rien de plus que ce qu’il est :
un vieux truc sorti d’un placard dont t’avais oublié jusqu’à l’existence.
Mais ce machin-là, il est là.
Comment il est arrivé là ?
Pour le moment, tu ne sais pas.
Y’a un truc qui s’est produit.
Un déclencheur qui a fait sauter le verrou de sa porte.
Et le Mimic s’est fait la malle.
Le Mimic
Direction le conscient, via l’autoroute, à fond les ballons.
Son pouvoir ?
Te faire croire qu’il peut te piquer le tien.
Que c’est lui qui décide.
Ne t’en veux pas, on est quelques millions à croire son histoire.
Et elle fait bien flipper, son histoire.
Parfois, ce saligaud te fait croire que tu vas revivre un vieux truc à la con.
Un truc bien raide, qui t’a mis par terre.
Et toi, t’as pas du tout envie de ça.
Une fois, mais pas deux.
Alors il t’envoie tout : les images, les goûts, les odeurs, les émotions.
Il te fout un sacré merdier en toi…
C’est pire que ton gosse qui vide ses jouets et son armoire dans sa piaule.
Alors forcément, toi, c’est pas le truc qui te branche.
Je peux te comprendre.
Une telle merde, quand t’as réussi à la dépasser une fois,
t’as clairement pas envie d’y retourner.
Le pouvoir humain
Et pourtant, ce vilain gnome, y’a un truc qu’il oublie.
T’es un humain.
Et lui, rien.
Et toi, en tant qu’humain, t’as un super pouvoir.
Deux même.
Enfin… en vrai, t’en as plus, mais là, y’en a deux qui nous font de l’œil.
Le premier, celui qui t’a aidé, qui a bossé dans la soute,
qui a alimenté la chaudière pour qu’elle tourne et produise de l’énergie, pour que t’avances,
c’est la résilience.
Ce truc-là, ça te permet de prendre des coups et de rester debout.
Alors ouais, t’es pas un mur, c’est vrai.
Et les coups, ça fait mal.
Et pourtant, t’es debout.
Tu vis.
Et le deuxième, c’est de lâcher la main du monstre.
Lâcher la main
Et là, tu comprends qu’il te mentait.
Il te disait que si tu le lâchais, tu te casserais la gueule.
Et en réalité… bah non.
Oui, tu vacilles.
Tu perds un peu l’équilibre.
Y’a toujours un poids.
Parfois, tu manques un peu d’air.
Tu doutes encore.
Et rien, pourtant, ne t’empêche d’avancer.
De retrouver foi en toi.
Tu as lâché sa main.
Une bonne fois pour toutes.
Et tu le regardes.
Vous vous regardez, les yeux dans les yeux.
Et là, il se passe un truc que t’imaginais pas.
Son regard devient doux.
Triste.
Il sait.
Le secret du monstre
Tu comprends pas encore tout, mais tu sens qu’une chose se passe.
Ta respiration se pose.
Le poids sur le ventre s’évapore.
Tu te ressens d’une façon nouvelle.
Comme si tu te réveillais après une bonne et longue nuit de sommeil.
Et puis, tu l’entends.
Une voix qui vient de loin.
Une voix caverneuse, ancienne.
Tu n’arrives pas encore à comprendre.
Et puis, ça vient.
Comme une lumière qui perce les volets.
Cette histoire qu’il murmure avec peine, avec maladresse…
C’est toi.
Mais pas toi aujourd’hui.
Toi, au passé.
Dans ce moment qui fut si dur, si brutal, si violent.
Ce monstre, c’est celui qui a avalé le dragon.
Bouffé la merde.
Pris toutes les sales émotions pour toi.
Pour te protéger.
Pour que tu puisses survivre, te réparer, et reprendre la route.
L’adieu au Mimic
Y’a cette boule qui monte dans ta gorge.
Parce que t’as pas les mots.
Alors, y’a des larmes.
Rondes, douces, chaudes, vraies.
Ce que tu n’as pas pu pleurer à l’époque,
ça vient enfin.
Ça s’en va.
Tu t’approches de lui, et plus tu t’approches,
plus il s’efface.
Pas parce que tu le chasses.
Mais parce que tu sais que maintenant,
t’as plus besoin de lui.
Que tu peux enfin traverser cette douleur.
Qu’elle est mesurable, acceptable, plus humaine.
Le Mimic, il a fait le job.
Alors, il peut s’en aller.
Être libéré.
Et toi aussi.
Tu n’as plus à t’y accrocher.
Il n’a plus d’utilité.
Le passé retrouve sa place.
Dans ton livre.
Dans le chapitre qui est le sien.
Et toi,
tu es là.
À la bonne page.
