Tu ne t’estimes pas. Plus.
Depuis combien de temps déjà ?
Tu ne saurais le dire.
Les jours se sont empilés, comme les feuilles d’un vieux calendrier qu’on n’arrache plus.
La pluie, dehors, bat la vitre comme un métronome fatigué.
Tu regardes, sans vraiment voir.
Les gens passent, pressés, certains sourient, d’autres traînent leurs peurs.
Toi, tu es là, à l’intérieur de toi, blotti, recroquevillé.
Le menton sur les genoux, comme pour ne pas te disperser davantage.
Tu ne t’estimes pas.
Ou plus.
Tu as arrêté quelque part en chemin.
Peut-être le jour où on t’a dit que tu n’étais pas assez.
Ou celui où tu as cru que ce regard froid, ce mot blessant, disaient vrai.
Peut-être le jour où tu as commencé à comparer ta lumière à celle des autres.
Tu ne sais plus vraiment.
Et au fond, est-ce important ?
Ce qui compte, c’est maintenant.
C’est ce silence dans lequel tu vis.
Ce vide qui t’habite, ce goût fade dans la bouche, cette impression d’être un spectateur de ta propre vie.
Tu crois n’être plus rien
C’est étrange, cette sensation d’effacement.
Tu vis, mais à peine.
Tu respires, mais sans ampleur.
Chaque jour, tu te lèves, tu fais ce qu’il faut, mécaniquement.
Et puis tu t’assois, épuisé, sans comprendre pourquoi.
Tu te dis que tu n’as plus rien à offrir, que ta présence ne change rien.
Que tu pourrais disparaître demain, et que le monde continuerait sa course.
Tu n’as pas tort. Le monde continuerait, oui.
Mais il ne serait pas le même.
Tu ne t’en rends pas compte, mais ta simple existence, là, dans ce fauteuil, dans cette pièce, dans cette vie, a un poids, une empreinte, une vibration.
Tu es vivant.
Et ce simple fait est déjà une victoire.
Le vide, ce faux néant
Tu dis que tu es vide.
Mais le vide, c’est une illusion.
Ce n’est pas rien, c’est un espace.
Un espace rempli de tout ce que tu ne vois plus : des émotions, des désirs étouffés, des rêves qu’on t’a appris à taire.
Tu crois que le vide te ronge, mais il t’appelle.
Il te dit : “Regarde-moi. J’existe pour que tu recommences à vivre.”
Ce n’est pas une punition, ce n’est pas un châtiment.
C’est un signal.
Un rappel.
Quand l’estime de soi s’effondre, elle ne disparaît pas, elle se cache.
Elle attend qu’on la cherche.
Watson, calmement
Watson t’observerait sans bouger.
Il ne t’interromprait pas.
Il écouterait ton silence, parce qu’il sait qu’il parle plus fort que les mots.
Puis, d’une voix basse, posée, il dirait :
— Si tu crois n’être plus rien, alors qu’as-tu à perdre ?
Tu lèverais les yeux, un peu surpris.
Il sourirait.
— Si tu n’as plus rien à perdre, tu es libre.
Silence encore.
— Tu dis que tout est perdu. Parfait. Alors c’est le moment. Parce que c’est quand il n’y a plus rien à sauver qu’on peut tout recommencer.
Watson ne te donnerait pas de plan, pas de méthode.
Il te donnerait une permission.
Celle de recommencer, même petitement.
Même maladroitement.
Même sans y croire encore.
Parce que l’estime de soi, ce n’est pas une certitude, c’est un geste.
Un petit mouvement vers toi.
Une main tendue, d’abord tremblante, puis plus ferme.
Ce que tu as perdu, ce que tu peux retrouver
Tu crois avoir perdu confiance, amour, reconnaissance.
Mais regarde bien : tu respires encore.
Ton cœur bat.
Ton esprit cherche encore à comprendre, à s’accrocher à une lumière, même minuscule.
Tu n’as donc pas tout perdu.
Tu t’es perdu de vue, voilà tout.
Tu t’es effacé sous le poids des attentes, des déceptions, des comparaisons.
Tu as oublié que ta valeur n’a jamais dépendu de ce que tu fais, mais de ce que tu es.
Tu existes.
Et ça suffit.
L’estime de soi, c’est comme une flamme sous la cendre.
Tu crois qu’elle est morte, mais elle brûle encore, discrète, obstinée.
Elle attend un souffle, le tien.
Le courage de se relever
Watson te le redirait, encore, avec ce calme qui déstabilise autant qu’il apaise :
— Tu dis que tu es à terre. Très bien. Alors regarde le sol. Regarde-le bien. C’est de là que tout recommence.
Tu te redresses un peu.
— Si tout est déjà perdu, qu’as-tu à risquer en vivant un peu ?
Cette phrase-là resterait.
Elle tournerait dans ta tête, doucement, comme un écho.
Et un jour, sans prévenir, elle deviendrait vraie.
Parce que tu comprendrais que tu n’as rien à prouver.
Que tu n’as pas besoin d’être parfait, ni fort, ni exemplaire.
Tu as juste besoin d’être vivant, et de faire un pas.
Un seul.
Et ce pas, c’est déjà de l’estime.
Revenir à toi
Alors, quand la pluie bat la vitre, reste là un instant.
Ne fuis pas.
Regarde ce qui monte.
La peur, la honte, la fatigue — laisse-les passer.
Elles ne sont pas toi.
Elles sont juste les témoins du chemin parcouru.
Tu es plus fort que tu ne crois.
Tu es debout, même si tu trembles.
Tu n’as plus à lutter pour mériter ta place.
Elle est à toi.
Et si vraiment tu doutes encore, écoute Watson une dernière fois :
— Le rien, c’est un point de départ. Pas une fin. C’est le terrain où l’on sème.
Alors vas-y.
Sème.
Pas pour devenir quelqu’un d’autre, mais pour redevenir toi.
