Devant le miroir
Dans la salle de bain, devant le miroir, tu te posais la question.
Elle tournait dans ta tête, comme une putain de boule de flipper sous amphétamine.
Ça filait le vertige, le doute, le grand frisson, le vide.
Tu ne savais pas y répondre.
Oh, en fait, si.
Tu pouvais en parler, des plombes. À saouler l’assistance, à la rincer, l’épuiser.
Et au bout du compte, personne ne comprenait plus rien.
Toi le premier.
Le magma des autres
C’était quoi, ces discours ?
Un magma de ce que les autres disaient de toi, de ce qu’ils pensaient de toi.
Tes parents, tes amis, tes collègues, ton boss, la personne avec qui tu vis,
ou celles qui t’ont approché de près.
C’était tous tes doutes, tes croyances, tes envies, tes désirs,
tes trouilles les plus profondes.
Tes limites, à qui tu voulais tordre le cou une bonne fois pour toutes.
Parce qu’au fond, t’étais tout cela à la fois, sans l’être vraiment.
Et ça te collait un sacré mal de crâne.
L’essentiel, putain
T’en as, en quoi… allez, une ou deux phrases, il te claque une réponse directe.
Tu sais. L’essentiel.
C’est clair, net, posé, cadré.
Toi, rien que la question te tordait le bide.
Tu nouais la gorge, tu vrillais de l’intérieur.
Un truc pas évident à vivre.
Alors, derrière ça, pour poser les mots, paie ta galère.
T’as eu beau faire des exercices, remplir des questionnaires,
prendre le temps de tout poser,
quand tu répondais, tu te sentais pas à l’aise.
Comme un pingouin avec un costard mal taillé. Pas à sa taille.
T’habitais pas le truc.
T’avais pas les mots, pas les idées claires.
Tu ne te sentais pas à ta place.
Y’avait un truc qui déconnait, et pas qu’un peu.
Ça te grattait.
Ce qui résonne
Toi, tu voulais pas un truc qui sonne, mais un truc qui résonne.
Le truc que, quand tu le dis, quand tu l’entends, tu te dis de suite :
« Ouais, ça, c’est moi. Ça, ça me parle. »
Où que je sois, quoi que je fasse, oui, ça, ça me parle.
Parce que ça colle avec moi, avec la façon dont je vis,
dont je pense, dont je ressens les choses.
C’était toute la différence entre tirer un coup d’un soir, sans attirance,
sans rien de plus qu’une certaine envie de tuer le temps, de chasser…
Et puis… et puis, être animé par le désir, l’envie, une pulsion charnelle.
Deux esprits qui se rencontrent, qui entrent en symbiose quelques heures,
et s’envolent le temps d’un voyage sans retour.
Le goût du vrai
C’est la différence entre deux plats identiques :
l’un à faire réchauffer au micro-ondes,
et l’autre, un vrai plat fait maison, préparé avec le temps nécessaire,
avec un tant soit peu de savoir-faire, d’envie et d’amour.
Les deux se ressemblent, et pourtant, une fois la fourchette en bouche,
même si t’es pas un critique gastronomique, tu sens tout de suite la différence.
Y’a pas débat. Pas photo. Pas de doute.
Tu savais la différence.
Et c’était pas facile de poser les mots.
De trouver ton identité.
Les masques
En même temps, ce que les gens savent de toi dépend d’où ils te connaissent,
d’où ils te regardent.
Au boulot, par exemple, t’es peut-être dans le moule.
Tu respectes les codes, les normes.
Tu joues le jeu des conventions.
Ni trop peu, pour pas passer pour un tire-au-flanc,
ni trop, pour ne pas passer pour le fayot de service.
Et puis, tu parles pas vraiment de toi.
Ta vie privée, tes loisirs, tes goûts, tu laisses ça à la maison.
Tu t’adaptes.
À la maison, changement de décor.
Mais là aussi, tu t’adaptes — peut-être sans le savoir.
Tu ne veux pas froisser, pas déranger.
Ou alors, tu es peut-être trop imposant, trop directif,
héritier de vieux schémas acquis à la maison quand tu étais gosse.
Peut-être qu’on t’a trop marché sur les pieds,
et que tu as décidé de montrer les crocs pour dissuader les autres de venir te chatouiller.
T’as grandi dans un monde binaire : proie ou chasseur, victime ou bourreau.
Dans tous les cas, t’as du mal à trouver la bonne fréquence.
Tu ne sais pas trop.
T’es pas à l’aise.
L’identité nue
Et puis, y’avait un truc qui t’emmerdait.
Toi, t’es pas un titre, ni une fiche de poste.
T’en pouvais plus d’être juste une identité professionnelle.
T’as jamais craché sur le boulot, tu en connais l’importance.
Mais t’es pas que ça.
C’est une facette de toi, importante oui, et pourtant, une facette,
ce n’est pas toi tout entier.
Quand on retire le titre, la description de poste,
il reste encore de la matière — et pas qu’un peu, bon sang.
T’es pas limité à une chose.
Tu es entier.
C’est pas une quête. Tu es entier.
Tu le sais.
Tu es toi. Tu restes toi.
Le foutu « toi »
La foutue question était de poser des mots sur ce toi.
Pas celui que tu étais quand t’étais le mioche de tes parents.
Pas celui qui a fait ses premiers pas dans la vie active.
Pas le toi qui joue sur les réseaux sociaux,
ou qui se planque par peur de se taper la honte.
Pas celui qui ne dit rien parce qu’il croit n’avoir rien à dire.
Pas celui qui ceci ou cela.
Toi.
T’as eu beau scruter le miroir durant des plombes,
ce foutu machin, il ne parle pas.
Pas un mot.
Il renvoie un reflet. Une image de toi.
Y’a des matins où ce que tu vois, c’est cool, c’est chouette, c’est pas mal.
Parfois, c’est à peine si t’oses regarder le truc, là, en face.
Et l’essentiel du temps ?
Bah, c’est ça.
C’est là.
Faut faire avec.
Et puis, c’est pas en changeant l’extérieur qu’on change
ce qui se passe dans les profondeurs de l’intérieur.
Le miroir vivant
T’avais besoin d’un miroir, un miroir qui soit vivant.
Qui te renvoie quelque chose.
Quoi ? Tes mots.
Un reflet qui te renvoie tes mots.
Qui te raconte qui tu es.
Que tu sentes que ça résonne en toi.
Durant cet échange, c’était d’abord ta voix que tu entendais.
Tes récits, tes joies, tes doutes, tes hauts, tes bas, tes rêves.
C’était un moment étrange, et si doux.
Se raconter
Parler de toi.
Sans chercher les causes, sans chercher les failles.
Te raconter, comme si tu parlais à ton biographe.
Tu ne cherchais pas à comprendre.
Tu ne menais pas une enquête.
Tu ne cherchais pas un responsable.
Tu racontais.
Tu te racontais.
En douceur.
Et puis, en retour, tu as entendu les mots.
Des mots qui te racontaient toi.
Et chacun a résonné en toi.
Tu les as sentis vivre en toi, comme des évidences.
La rencontre intérieure
Tu as découvert quelqu’un.
Une personne.
Cet inconnu qui marchait à tes côtés depuis toujours,
sans que tu puisses poser les mots.
Cette personne qui a partagé les coups durs, les douleurs,
qui t’a tendu la main quand t’avais les genoux à terre.
Qui a ouvert ses bras pour te protéger, pour accueillir tes larmes,
qui a comblé les moments de solitude.
Cet inconnu qui était là, avec toi,
quand tu as posé tes mains sur ce corps, senti sa peau,
entendu son souffle court, senti sa chaleur.
Quand tu t’es dissous en elle, en lui.
La révélation
Ce jour-là, en entendant ces mots, tes mots, tu as su.
C’est devenu plus limpide, plus clair, plus chaleureux.
Tu t’es rencontré, comme si c’était la première fois.
Tu as découvert la personne qui était là depuis le premier jour.
Celle qui ne t’a jamais laissé tomber.
Celle sur qui tu as toujours pu compter.
Ces mots, ils t’ont touché.
C’étaient des caresses, de la douceur, de la pureté.
C’était pas pour te passer de la pommade,
pas pour te flatter ou te faire plaisir.
Ils étaient, ils sont et seront toi, toujours.
Parce que c’est ton histoire.
Tout simplement.
Ces mots, c’est toi.
Ils sont et restent aussi vrais que toi, et tout ce que tu as vécu.
La belle personne
Ce matin, dans le miroir, tu as croisé une personne.
Pas le maître du monde, pas un influenceur à la mode, non.
Bien plus que ça.
Une belle personne.
En te racontant, tu t’es rencontré.
Voilà qui tu es.
