Le droit d’oser
Tu as longtemps cru que tu n’avais pas le droit.
Une vieille croyance ancrée en toi.
Un relent d’éducation, de profs, d’une convention sociale à laquelle tu t’es sur-adapté.
Pas question de déranger.
Pas question de te faire remarquer.
Il te fallait toujours une autorisation explicite.
Mais pas de n’importe qui, non.
Celle d’une figure d’autorité.
Sinon, t’étais mal à l’aise.
Bloqué, figé dans la crainte.
Tu ne voulais pas te planter non plus.
Tu craignais l’erreur, comme une sanction possible, définitive.
Une fin. Un jugement sans appel.
Et pire encore : si tu parvenais à tes fins, que resterait-il de toi,
de tes croyances, de cette identité que tu as mis tant de temps à façonner ?
Le corps qui dit non
Parfois, c’était ton corps qui bloquait.
Toi, tu voulais y aller. L’envie était là.
Mais le corps, lui ? Les jambes en coton, le ventre lourd, le cœur qui tape.
Le corps te racontait tout autre chose : n’y va pas.
Pourquoi ? Aucune idée.
Mais il te coupait dans ton élan.
Tu n’avais pas un motif clair pour te mettre en mouvement.
Alors comment le faire ? Tu ne savais pas.
Et ton corps disait stop.
Ou alors, c’était pas clair dans ton esprit, dans tes tripes.
Tu voulais bouger, oui.
Agir, faire quelque chose, exister, montrer que tu avais une valeur, une utilité,
que tu pouvais apporter quelque chose — aux autres, au monde, à toi.
Seulement, que faire ? Ce truc-ci ? Ce truc-là ?
Cette motivation, face à la réalité, s’étiolait. Lentement, mais sûrement.
Et tu restais là, vide, soupir après soupir, hagard, absent, étranger à toi-même.
Le vieux fantôme
C’était aussi la réminiscence d’un vieux bordel qui pointait le bout de son nez et te clouait sur place.
Une angoisse sourde, qui d’un coup occupait tout l’espace.
Elle te glaçait le sang, te figeait dans le froid.
Comme la trouille de voir un vieux fantôme ressurgir.
Et puis y’a eu toutes ces fois où tu t’es pas senti légitime.
Pas à ta place.
Et t’avais pas envie de te fracasser sur la honte.
Pas envie de jouer à la personne qui sait tout alors qu’elle doute de tout — surtout d’elle.
La perfection comme armure
Alors, parfois, pour te protéger, tu essayais de tout faire à la perfection.
Tu en passais des heures à tout vérifier, tout peaufiner, dans le moindre détail,
à explorer tous les possibles, toutes les situations imaginables.
Chaque virgule, chaque ligne, chaque pensée était scrutée, décortiquée, analysée.
Encore et encore. Jusqu’à l’épuisement.
Tu ne cherchais plus la perfection, mais la sécurité.
Tu voulais juste éviter la honte.
Mais la peur rôdait, tapie en toi.
Et à chaque fois, tu as repoussé.
Tu as fui.
Tu es parti loin en toi.
Puis tu es revenu avec des justifications bien ficelées pour valider ton inaction.
Le cycle bien huilé
Chaque fois.
Le même cycle, bien huilé, parfaitement chorégraphié.
Une envie, une paralysie, une fuite.
Le retour du héros qui baisse les bras, présente ses excuses au public déçu,
puis justifie son inaction pour toucher les cœurs et se faire plaindre.
Nous sommes nombreux à être passés par là.
Bien plus nombreux que tu ne peux l’imaginer.
Le ras-le-bol salvateur
Et puis, un jour de ras-le-bol, tu as voulu péter le schéma.
Tu as voulu aller voir plus loin.
Parce que la sympathie des gens qui te tapent dans le dos, qui disent te comprendre,
c’était sympa, oui.
Mais à quoi ça servait ?
À te garder là.
À la même foutue place.
Pendant que le monde avançait, toi tu restais figé dans la glace.
Sans bouger. Sans vie. Inerte. Vide.
Le premier pas
Alors tu as eu envie d’aller voir un peu plus loin.
De sortir de là.
D’oser au moins un premier pas, un geste, un quelque chose.
Tu as eu envie d’apprendre à faire autrement.
Qu’importe d’où te venait cette façon d’être, de faire, de penser, de ressentir.
Tu voulais autre chose. Une autre vie.
T’aurais pu poser un acte grandiose.
Mais t’avais pas encore le cran.
Et puis, c’est pas la grandeur de l’acte qui importait.
C’était de poser une première pierre, une première brique, quelque chose de fondateur.
T’étais pas à ton aise.
Hésitant. Tremblant.
Tu te faisais presque dessus, comme on dit.
Le costume te semblait bien trop large.
Mais cette fois-ci, tu as tenu bon.
Tu as fait ce pas.
Vers l’avant — pas en arrière, non, non. Vers l’avant.
La surprise
Et là, surprise :
la peur et la honte ne t’ont pas emporté au fond de l’abîme.
T’es resté là, tout aussi hésitant.
Mais tu avais fait ce putain de pas.
Le souffle court, le cœur battant à fond.
Une goutte de sueur glissant sur ta tempe.
Tu t’es demandé si t’étais pas dingue de faire ça.
Après tout, combien de fois, par le passé, t’avais tenté ?
Et chaque fois, la morsure de la honte, la brûlure de la douleur,
le vertige des moqueries.
Plus jamais ça, t’étais-tu promis.
Et pourtant, te voilà à recommencer.
Et t’as eu raison.
T’étais plus le même.
Marre de fuir
Et puis t’en as eu assez — assez des justifications, des excuses, de te planquer.
Marre des petites tapes dans le dos.
Marre de baisser les yeux, de regarder tes pompes.
Marre de rêver le soir dans ton plumard,
puis au matin de tout chasser, parce que, soi-disant, “c’était pas pour toi.”
T’en as eu marre, tout simplement.
Alors t’as posé un premier acte, un premier pas.
Maladroit, mal assuré, bourré de doutes.
T’avais la gorge nouée, le ventre serré, les jambes qui te tenaient par hasard.
Tu en as eu marre de toujours repousser.
Marre d’attendre une autorisation, un accord.
Et tu as pris les choses en main.
Le regard allumé
Tout n’était pas parfait, non.
Mais tu l’as fait.
Et personne ne t’a jeté à terre.
Au contraire.
À ta grande surprise, certains t’ont félicité, encouragé.
Parce que t’as osé ce qu’eux n’osent pas encore.
Tu voulais pas être un modèle, ni un exemple.
Mais le simple fait d’avoir fait preuve de courage,
eh bien, t’as attiré la sympathie.
T’as fait briller quelques regards.
C’était chouette.
Et plus que tout, y’a un regard qui s’est allumé.
Le tien.
